Ni mannequin ni clown
JANVIER 2023
Ce qui nous ravit dans un petit enfant, c’est sa transparence. Il nous attire sans nous arrêter à soi. Il nous rend sensible, en quelque manière, une Présence infinie. Il nous rattache à la Source divine comme un sacrement de lumière… Les orgueilleux nous blessent parce qu’ils sont opaques. Ils enferment tout en eux-mêmes et nous emprisonnent dans leurs limites. Les saints nous délivrent en laissant luire en eux une divine clarté. Nous ne sommes vraiment heureux qu’en nous perdant de vue, en nous effaçant en ce qui nous dépasse.
Maurice Zundel, L’évangile intérieur
La transparence est une attitude capitale dans la vie morale. Est transparent, ce qui, se laissant aisément traverser par la lumière, permet de distinguer nettement les objets à travers son épaisseur. Ainsi, une eau de source, un vrai diamant. Être transparent, c’est à la fois être et paraître ce que nous sommes réellement. Et non pas être une imitation de quelqu’un d’autre. Ni un mannequin. Ni un clown.
PIERRE D'ASSISE
Il est vrai que certaines personnes ont le don de la transparence plus que d’autres : ils sont souvent des incarnations de la transparence. Et nous savons que, sans la transparence, notre communication avec les autres, notre témoignage, nos paroles, nos actes ne passent pas. Un bel exemple de transparence dans les Évangiles c’est Jean Baptiste : - « Qui es-tu ? - Je ne suis pas le Christ. - Es-tu Élie ? - Je ne le suis pas. - Es-tu le prophète ? - Non, je ne le suis pas. – Alors, qui es-tu ? - Je suis la voix de celui qui crie : « Préparez dans le désert le chemin du Seigneur. » La transparence constitue la pierre d’assise de tout amour, de toute amitié, un repère lumineux pour la garantie de l’authenticité de toute relation humaine. On dit souvent que les enfants sont transparents, que les saints sont transparents, que les humbles sont transparents.
UN SIGNE D’ÉMANCIPATION
L’exhibition de l’intimité est devenue un signe de la modernité, un signe d’émancipation. On n’a plus rien à cacher : sexualité ouverte, secrets de famille ou de couples étalés au grand jour. Une incroyable sacralisation de la transparence s’est installée dans les mœurs des Occidentaux. La télé-réalité a battu des records de cotes d’écoute. « On est passé de l’intimité à l’extimité » (J.C.Guillebaud, Le goût de l’avenir). Il est de bon ton de lever le voile sur tout ce qui est caché, d’étaler ses pulsions et ses misères sur la place publique. Au nom de la transparence, on met tout dans la vitrine. Le moindre écart moral provoque un battage médiatique. Un torrent de bavardage et de confidences inonde les ondes de la radio, de la télé et des médias sociaux.
CONQUÊTE DE L’INTIMITÉ
Heureusement, cette dictature de la transparence commence à provoquer des réactions. On recherche de plus en plus les valeurs de la discrétion et de la pudeur. La conquête de l’intimité aura été assez longue et laborieuse pour que l’on savoure la vie privée, nous souvenant que dans nos familles nombreuses, tous savaient à peu près tout sur chacun et avaient à peu près tout vu sur chacun…
UNE CERTAINE PUDEUR
Une certaine pudeur, une certaine retenue nous empêchent de mettre dans la vitrine de tout le monde le fond de notre être, d'ouvrir au premier venu notre moi profond. Ce qui arrive concrètement, c'est qu'à certains, nous révélons des choses, à d'autres, nous communiquons autre chose de nous-même. Un conseil à ne pas oublier quand on veut être transparent :
Si tu veux, apprivoise-moi ! Que faut-il faire ? dit le petit prince. Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près.
— Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince
DES MASQUES
Parfois, il nous arrivera de porter des masques, des masques déformants, comme les clowns ou les bouffons, pour cacher quelque chose : soit une souffrance, un complexe ou tout simplement pour cacher notre être profond. Un peu comme les joueurs de football ou de hockey, nous avons des masques protecteurs. On peut reprendre à notre propre compte la parole du célèbre peintre français Rouault faisant l'esquisse d'un Pierrot avec son masque d'éternelle tristesse, qui demandait: « Qui ne se grime pas? » Qui n’a jamais utilisé du maquillage ? Qui peut dire ne jamais se soucier du regard ou de la critique des autres ? Qui est totalement dégagé de l'opinion des autres sur lui-même?
DES ICÔNES DE DIEU
Vous avez paut-être déjà rencontré des femmes ou des hommes de Dieu. Ces personnes reflètent quelque chose de Dieu, quelque chose d'ailleurs, quelque chose qui nous fascine. Elles sont de véritables icônes de Dieu. Leurs visages sont comme celui de Moïse descendant de la montagne du Sinaï : la peau de son visage était devenue éblouissante. L’auteur veut nous dire que Moïse a vécu une approche du Mystère de Dieu assez impressionnante pour que les gens s'en aperçoivent. Moïse préparait Jésus transfiguré, lui, sur la montagne du Tabor. La transparence des femmes et des hommes de Dieu est un signe non équivoque de leur proximité de Dieu, elle est un fruit savoureux de leur intimité avec Dieu. Notre transparence de Dieu devrait refléter quelque chose de la transfiguration de Jésus, quelque chose du monde nouveau issu de sa résurrection.
DEVIENS QUI TU ES
La transparence est la condition de la confiance mutuelle, de la crédibilité en amour, en amitié, en équipe de travail, en pastorale, en affaires, en politique, en famille, en Église. Apprivoiser la transparence : un repère lumineux dans le labyrinthe éthique actuel. D’autant plus que nous ne sommes jamais parfaitement nous-mêmes, selon la vieille sagesse grecque : « Deviens qui tu es. »