Un peuple de pèlerins
MAI 2023
Ce qui ne passe pas auprès de nos contemporains, c’est le discours déjà constitué auquel on ne peut rien changer. Les gens ne veulent plus d’une parole établie devant laquelle il n’y a rien à dire, rien à modifier… J’aimerais une Église qui ose montrer sa fragilité. Or, parfois l’Église donne l’impression qu’elle n’a besoin de rien et que les hommes n’ont rien à lui donner... Autrement dit, je souhaiterais une Église qui se mette à hauteur d’homme en ne cachant pas qu’elle est fragile, qu’elle ne sait pas tout et qu’elle aussi se pose des questions.
Mgr Albert Rouet, La chance d’un christianisme fragile
Quelqu’un a écrit : « Nul n'est une île. » Une autre façon de dire que nous ne vivons pas comme des êtres isolés. Nous ne sommes pas sans liens les uns avec les autres ; ceux-ci ont accès à nous et nous à eux. Si certains cours d'eau séparent ou isolent des peuples les uns des autres, il reste que même insulaires, ils vivent en société, en familles, en groupes, en associations, en couples. Quand on parle de morale, le dicton « Nul n’est une île » trouve toute sa pertinence pour dire que personne ne saurait décider par sa seule lumière ce qui est bon ou mal. Nous avons besoin de guides pour éclairer notre conscience. Laissés à notre seule lumière, il nous manquerait souvent d’importants éclairages pour prononcer un bon jugement.
DES GUIDES
Parmi les guides que l'on reconnaît dans la formation de notre conscience, Il y a d'abord la Parole de Dieu faite chair en Jésus, accueillie en notre coeur, interprétée et célébrée en Église, priée et vécue sous la mouvance de l’Esprit Saint. L’Évangile n’étant pas un code de morale, il ne saurait répondre à toutes les questions morales de toutes les époques. Il ne saurait apporter des réponses précises et définitives à tous les problèmes nouveaux et propres à chaque siècle. Les débats publics, les échanges libres, les discussions ouvertes, les écrits sérieux constituent autant d’éclairages pour un meilleur discernement.
UNE CAMISOLE DE FORCE
Aussi nous reconnaissons à la sagesse séculaire de l’Église une place importante dans la formation et la croissance de la conscience morale. L’aide que la doctrine morale de l’Église offre aux fidèles ne doit pas être une camisole de force mais des repères pour mieux voir clair en nous et ne pas nous égarer dans les méandres de nos chemins parfois ténébreux. L’expertise de l’Église, animée par l’Esprit, a reçu de son Fondateur une grande promesse, à savoir que la puissance de la mort ne peut rien contre elle.
UNE CARAVANE
L’Église ne doit pas se comporter à la manière de l'allumeur de réverbère dans le conte de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, et qui disait sèchement : C'est la consigne ! Ce genre de réponse ne colle auprès de personne, adulte ou jeune. L’Église est plutôt comme une mère de famille : une éducatrice et non une impératrice ! Elle apporte à la vie morale des repères de grande importance pour éclairer notre conscience, guider nos choix, rendre plus droits nos jugements, nous ajuster à la Parole de Dieu.
L’Église est essentiellement un peuple de pèlerins, une caravane. Elle chemine à travers les siècles et porte constamment son regard vers l’horizon qui débouche sur le Royaume définitif. L’Église est en transit. Mais précisément parce que nous sommes en route, comme un train engagé dans un tunnel obscur, nous voulons savoir ce qu’il y a au bout du tunnel.
R. Latourelle, De la morosité à l’espérance
SIGNES DES TEMPS
Pour que l’Église soit respectée dans sa pensée morale, elle se doit d'être consciente des problèmes de l’heure, de vivre dans l’aujourd'hui de son histoire. Pas une Église dont le modèle ou l'idéal est toujours dans le monde d’autrefois : les valeurs d’autrefois, les fidèles d'autrefois, les saints d’autrefois, les prêtres d’autrefois, les liturgies d’autrefois, les sermons d’autrefois, les prières et les cantiques d’autrefois, la morale d’autrefois !
Pour mener à bien cette tâche, l'Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Évangile, de telle sorte qu'elle puisse répondre, d'une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques.
Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps
UN SEUL CORPS
Nous avons besoin les uns des autres. Dans l'Église, « nul n'est une île ». Ce qui se vit en Amérique, en Europe, en Asie, en Afrique ou en Océanie ne saurait nous laisser indifférents. On parle avec raison de la terre comme du village global. Ne sommes-nous pas des sœurs et des frères universels ? Ne sommes-nous pas membres de la grande famille humaine ? Le corps est un et pourtant il a plusieurs membres; mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps.
UN AGGIORNAMENTO MORAL
La doctrine morale de l’Église ne saurait contenir toute la lumière, toute la compétence, toute la sagesse. L’Église doit s’impliquer dans les débats de société ; enracinée dans le monde de son temps, elle doit avoir la simplicité de reconnaître qu’elle aussi se pose des questions, qu’elle n’a pas réponse à tout. Elle se doit de secouer certaines affirmations séculaires qui ne correspondent plus à la vie contemporaine. L’Église, au dire du pape Jean XXIII, est toujours à réformer, y compris sa doctrine morale. Vivant dans le monde, elle doit faire de temps en temps son aggiornamento moral.