Liberté chérie
JUILLET 2023
L’homme n’est qu’un roseau – le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant… Quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt ; et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. — Blaise Pascal
Si le silence éternel des espaces infinis effrayait le philosophe, la grandeur de l’être humain un peu moindre qu’un dieu, couronné de gloire et d’honneur, émerveillait le psalmiste. Cet être humain doué de la liberté, seul bien pour lequel il vaut la peine de se battre toute notre vie sur terre. Cet être humain infiniment plus grand que ce vaste univers dont la beauté reflète pourtant celle du Créateur. L’être humain en face de sa liberté soumise à une conquête lente et jamais achevée. Nous pouvons en effet très vite retomber dans des dépendances, voire des esclavages, au service de la liberté chérie : la mode, la tendance, l’opinion, le ‘qu’en dira-t-on’, la pression des médias, la pensée unique ou magique. En d’autres mots, il y a beaucoup de dieux et de seigneurs dont nous devons nous libérer.
UN RÊVE FOU
Parler de morale nous renvoie aux premières pages de la Révélation. Au-delà du langage poétique, imagé et mythique, il se dégage du récit des origines une leçon de grande sagesse pour l’humanité, quelle que soit l’époque. Il semble que, depuis toujours, l’être humain est tenté par le pouvoir de la liberté entendue comme la capacité de faire ce que l’on veut. Au risque d’aboutir à l’anarchie des instincts et à l’abus des dictatures. Cette tentation ne date pas d’hier. Au livre de la Genèse, nous lisons le combat intérieur que se livrent le Permis et le Défendu. Nous constatons l’influence qu’ont sur nous les autres avec leur force de persuasion ou de séduction. Cette tentation d’une liberté absolue devient le rêve fou de dépasser la condition humaine, de nous affranchir de tout interdit, de tout commandement. Un rêve nourri d’une promesse à l’emporte-pièce : « Vous serez comme des dieux. »
LE PRIVILÈGE DE DIEU
Notre époque se donne le droit de décider de la mort de quelqu’un. Jusqu’ici, nous avions toujours pensé que c’était le privilège de Dieu. Or, le débat va bientôt battre son plein pour affirmer que chacun est maître de sa vie ou de sa mort. La décision d’en finir avec la vie apparaît comme la liberté absolue et la suprême dignité quand la qualité de vie fait défaut. Selon le docteur Nicholas Newman, orthopédiste à Montréal, « légaliser l’euthanasie, c’est ouvrir une boîte de Pandore. Si on le fait, elle deviendra une obligation pour les personnes les plus vulnérables. On leur fera subtilement comprendre qu’à quatre-vingts ans, leur vie est faite et qu’elles coûtent cher à la société. Mieux vaudrait donc qu’elles meurent. Après tout, c’est légal. » Pourtant, l’intention du Créateur comporte des frontières à respecter : « Vous ne mangerez pas du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, sinon vous mourrez. » Parmi les restrictions du Créateur se trouve l’une des lois fondamentales de l’Alliance : « Tu ne tueras point. » Or, de nos jours, le meurtre est en voie de devenir monnaie courante. Sa banalisation devrait questionner notre conscience sociale tentée d’accepter la culture de mort au sein de notre monde.
UNE VIEILLE TENTATION
Elle surgit de siècle en siècle cette vieille tentation de nous libérer de notre statut de créature de Dieu pour être son égal ou son rival. Obsédés par le désir de mener notre vie à notre guise, sans dépendre de personne, de bricoler nous-mêmes une morale à notre convenance : « La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder… elle en prit un fruit, le mangea, en donna aussi à son mari et il en mangea. » Bien des libertés, à long terme, se révèlent être des dépendances car les pires tyrans vivent dans notre propre cœur. Malheureusement, en voulant construire un nouveau paradis terrestre, nos plans étaient défectueux et nos pronostics trompeurs, car les sciences de la technologie ont progressé plus rapidement que les sciences de la vie. En effet, nous connaissons les lois de la physique, de la chimie, de l’informatique, de la bioéthique, de l’énergie nucléaire, de la génétique et bientôt du clonage humain. Sauf que nous ne nous connaissons pas très bien nous-mêmes ! L’être humain étant le chef-d’œuvre de la création, il est normal de tout faire pour préserver sa beauté et sa dignité.
Toutes les cathédrales ne sont rien en face de cette cathédrale de nous-mêmes que nous avons à construire, car ce n’est pas dans les pierres d’un édifice extérieur que Dieu veut vivre, mais c’est en nous, pour se communiquer par nous à toute l’humanité et à tout l’univers. Voilà notre tâche : Dieu nous est confié, nous avons à devenir un évangile vivant en donnant à notre vie toute sa grandeur, toute sa noblesse, toute sa beauté, toute sa puissance de rayonnement, toute sa fécondité en liberté et en joie. Pour que Dieu apparaisse dans toute sa grandeur, il faut que l’homme atteigne toute sa stature. — Latteur, Les minutes étoilées
UNE FAUSSE PROMESSE
Les tentations de Jésus au désert veulent faire miroiter les mêmes déviances à propos de sa mission. De fausses promesses pour essayer de le faire tomber dans les pièges du Tentateur. Après la banalisation du meurtre et du suicide, vient la banalisation de l’amour : l’amour échangiste, l’amour d’un soir. L’amour rangé comme un objet sur les tablettes de la consommation. L’amour libre de toute contrainte, comme on le chante dans l’opéra Carmen : « L’amour est enfant de bohême, il n’a jamais, jamais connu de lois… Et si tu ne m’aimes pas, je t’aime et si je t’aime, prends garde à toi ! » Une fausse promesse pour lever tout interdit : « Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Une fausse promesse qui fait croire que la liberté totale en amour peut rendre heureux. Suffit d’en parler avec des amoureux de longue date pour avoir l’heure juste. Le pouvoir manipulateur et le chantage affectif dont sont capables les Don Juan de toutes les époques nous révèlent l’envers du bonheur et de la vraie liberté. « Si le serpent était le plus astucieux de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits », nous pourrions, à certains jours, quand l’occasion fait le larron… en dire tout autant de bien des êtres humains, pourtant tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.