Pour ou Contre
AOÛT 2023
Que de questions délicates dans la société contemporaine préoccupée par le désir d'une excellente qualité de vie! Pour ou contre l'euthanasie, l'aide médicale à mourir, les armes nucléaires, le clonage humain, la peine de mort, le suicide assisté, une «overdose» de morphine? Comment porter un jugement moral - pour ou contre - devant ces réalités que véhiculent les médias?
Devant la multiplication des grèves, certains disent: c'est bien, c'est notre seul moyen de pression ; d'autres disent: c'est mal, on devrait obéir aux lois! Devant la croissance de la violence, des couples refusent de mettre des enfants au monde. Certains disent: c'est bien, car ce serait immoral de mettre des enfants dans la misère; d'autres disent: c'est mal, car il faut faire confiance en l'avenir! Devant le débat sur la peine de mort, certains disent: c'est bien, car les criminels doivent payer pour leurs crimes; d'autres disent: c'est mal, car Dieu seul est maître de la vie.
LES VALEURS
Devant ces questions éthiques, au nom de quoi peut-on dire: c'est bien ou c'est mal? Sur quel repère s'appuyer pour se prononcer pour ou contre? Y aurait-il une morale à deux vitesses? La réponse à toutes ces questions éthiques se trouve du côté des valeurs. Or, une valeur, c'est quelque chose qui a du prix: ce bâtiment d'époque est une valeur patrimoniale, cette croyance est une valeur sacrée, ce portrait de famille est une valeur sentimentale. On parle souvent d'échelle des valeurs, d'un homme ou d'une femme de valeur, et même de la valeur du dollar ...
Parmi les valeurs universelles, on reconnaît le respect de la vie, la paix, la liberté, la justice et par-dessus tout: l'amour. Ces valeurs donnent du sens à l'existence humaine. C'est au nom de ces valeurs que l'on peut répondre pour ou contre tel argument. Une valeur n'est pas une bagatelle mais quelque chose de fondamental, de durable, quelque chose pour laquelle on est prêt à se battre afin de la préserver. Les valeurs sont capables de motiver et d'inspirer la joie et l'enthousiasme, capables de conduire à un meilleur équilibre psychologique et affectif.
NAUFRAGE
Notre époque se donne le droit de décider de la mort de quelqu’un. Jusqu’ici, nous avions toujours pensé que c’était le privilège de Dieu. Or, le débat va bientôt battre son plein pour affirmer que chacun est maître de sa vie ou de sa mort. La décision d’en finir avec la vie apparaît comme la liberté absolue et la suprême dignité quand la qualité de vie fait défaut. Selon le docteur Nicholas Newman, orthopédiste à Montréal, « légaliser l’euthanasie, c’est ouvrir une boîte de Pandore. Si on le fait, elle deviendra une obligation pour les personnes les plus vulnérables. On leur fera subtilement comprendre qu’à quatre-vingts ans, leur vie est faite et qu’elles coûtent cher à la société. Mieux vaudrait donc qu’elles meurent. Après tout, c’est légal. » Pourtant, l’intention du Créateur comporte des frontières à respecter : « Vous ne mangerez pas du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, sinon vous mourrez. » Parmi les restrictions du Créateur se trouve l’une des lois fondamentales de l’Alliance : « Tu ne tueras point. » Or, de nos jours, le meurtre est en voie de devenir monnaie courante. Sa banalisation devrait questionner notre conscience sociale tentée d’accepter la culture de mort au sein de notre monde.
UNE VIEILLE TENTATION
La morale chrétienne est une morale des valeurs. Si la morale d'autrefois portait surtout sur ce qui était permis ou défendu, de nos jours, elle met plutôt l'accent sur les valeurs. Grâce au développement des sciences humaines, on observe une nette évolution dans la vision de la personne humaine: respect de son mystère, de sa dignité, de sa grandeur, de sa vocation. Cependant, sans être alarmiste ou pessimiste, il faut avouer que les valeurs sont aujourd'hui menacées dans la société québécoise.
Le problème du sens en Occident est unique dans l'histoire de l'humanité. Jusqu'ici, en effet, un certain nombre de valeurs, ou tout au moins une ou deux, échappaient au naufrage. Notre siècle semble les avoir toutes jetées à la mer: Dieu, religion, valeurs morales, mariage, famille, droit à la vie et respect de la vie, autorité, vérité, altérité, amour. Bien plus, il se glorifie de les avoir toutes abolies: une opération qu'il qualifie de conquête de la liberté.
R. Latourelle, De la morosité à l’espérance
RETOUR À L’ESSENTIEL
En même temps, la morale chrétienne est en train de retrouver peu à peu sa beauté première, de perdre sa prétentieuse autorité, de redevenir elle-même, humble et servante, de renouer avec ses anciennes amours: le Christ et l'Évangile! Le concile Vatican Il a remis en valeur la personne humaine: primauté de la personne sur toute la création. Respect de la personne avec ses exigences, ses limites, ses appels, ses richesses. Respect de son caractère unique: pas tout le monde dans le même sac! Pas de réponses toutes faites! Pas de réponses pour toutes les époques! Pas de réponses dogmatiques en morale! Les valeurs n'ont pas toutes la même importance. L'entraînement physique sera vu comme une valeur pour quelqu'un qui a décidé de prêter attention à sa santé. Peu à peu, il réussira à régler des problèmes d'ordre physique et mental, de sorte que l'entraînement au «gym» deviendra pour lui une valeur à protéger. De même, l'engagement social sera pour quelqu'un une valeur d'épanouissement en venant en aide aux pauvres de son milieu.
OUVERTURE À LA DIFFÉRENCE
Puisqu'une valeur, c'est quelque chose de sacré, il est important de la préserver contre les prédateurs. C'est peut-être pour cette raison que l'écrivain Albert Camus a écrit: « La liberté est la seule valeur impérissable de l'histoire. » Peu à peu et courageusement, nous parvenons à établir une hiérarchie des valeurs et à consentir aux renoncements que cela exige. Il faut parfois beaucoup de temps, de réflexion et d'humilité avant de pouvoir se prononcer pour ou contre quelque chose.
La morale chrétienne s'ouvre aux valeurs des autres cultures, des autres religions. Elle voit dans la différence une richesse. C'est pourquoi elle recherche l'unité dans la diversité et non dans l'uniformité. Elle est capable d'écouter d'autres voix que la sienne. Est-il besoin de rappeler qu'il n'y a pas de valeurs humaines qu'on ne retrouve dans la morale chrétienne mais purifiées, élevées au- dessus d'elles-mêmes dans le respect du mystère de chaque être humain. Avec son incontestable trésor de sagesse acquise au cours des siècles, la morale chrétienne en tire du neuf et de l'ancien. Ne serait-ce pas là sa plus grande contribution pour transmettre les valeurs du passé au monde de ce temps?